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fleche ... Youssef Chahine
Hey Jo !
mis en ligne le 7 septembre 2008.
 

 
Youssef Chahine est mort le 27 juillet. Il avait 82 ans. Il était malade depuis plusieurs années, au point d’avoir dû faire appel à un coréalisateur, Khaled Youssef, pour son trente-cinquième et dernier long métrage en 57 ans de labeur obstiné, Le Chaos (2007). Il était malade mais son cinéma, lui, ne se fatiguait pas. Jusqu’à ce dernier film, si bizarrement oublié à l’heure des hommages posthumes, où la verve dénonciatrice, toujours aussi furieuse contre l’injustice, se mêlait à l’intensité physique des présences, l’érotisme des corps et des voix, cette capacité de se prendre lui-même de vitesse que possède le cinéma, sans doute jamais davantage que dans le genre, à la fois si artificiel et si concret, et qu’il adorait, celui de la comédie musicale.
Jo Chahine était une centrale énergétique. Il y avait en lui cette pulsion vitale, jaillissement du désir de faire jouer ensemble, de faire danser ensemble, de faire s’embrasser sensuellement les idées, les espoirs, les élans individuels et collectifs. De trouver dans la réalité ou dans l’Histoire, ou dans la mémoire cinématographique, et sinon de fabriquer ex-nihilo les personnages et les péripéties qui permettent cela. Depuis les récits plus intimes (jusqu’au fond de ses propres tripes) jusqu’aux plus universels, à travers les époques, les genres, les styles, les contraintes financières et de censure, par-delà le bien et le mal, c’est la constante de son cinéma telle que le personnage du bossu qu’il interprète dans Gare centrale l’aura une fois pour toute proclamée.
Au creux de l’été 2008, les médias français ont accordé à l’annonce de la mort de Youssef Chahine une place qui paraissait échangée contre le fait de le réduire à une figure exemplaire des droits de l’homme et de la tolérance dans le monde arabe. Il a été cela, vraiment, et en certains cas avec un grand courage, qu’il s’agisse de liberté de penser et de s’exprimer, de droit à la différence sexuelle, politique, ethnique ou religieuse. Mais il a été tant d’autres choses aussi. Certainement pas toujours lucide politiquement ni esthétiquement, il a été colérique et de parti pris, follement généreux et ultra-égoïste, éperdument pro et anti-américain, etc. Tout ça est dans ses films, et fait d’eux - les plus accomplis comme les autres - ce jaillissement fécond, obstinément prometteur, jaillissement que sa parole qui semblait inextinguible était apparemment prête à accompagner « encore et toujours ». Et puis il s’est tu. Jo est mort, ses films restent, eux, saturés de vie.
Jean-Michel Frodon.
Cahiers du Cinéma N°637 / septembre 2008.

FILMOGRAPHIE
Youssef Chahine - 25 juin 1926 - 27 juillet 2008
1950 Papa Amine / Baba Amine
1951 Le Fils du Nil / Ibn al-Nil
1952 Le Grand Bouffon / Al-Muharrij al-kabir
La Dame du train / Sayyadat al-qitar
1953 Femmes sans hommes / Nisa’bila rigal
1954 Le Démon du désert / Shaytan el-Sahra
1954 Ciel d’enfer / Sira fi alwadi
1956 Les Eaux noires / Siraa fil-mina
Adieu mon amour / Waddat’tou houbbak
1957 C’est toi mon amour / Enta habibi
1958 Gare centrale / Bab el-Hadid
Jamila l’Algérienne / Jamila al-Jaziria
1959 À toi pour toujours / Hub ila al-abad
1960 Entre tes mains / Bein edeik
1961 L’Appel des amants / Nida al-uhsaq
Un homme dans ma vie / Ragul fi hayati
1963 Saladin / Al-Nâsir Salah Eddine
1964 Un jour, le Nil / An-Nil oual hayat
L’Aube d’un jour nouveau / Fajr yawn jadid
1965 Le Vendeur de bagues / Bayya al-khawatim
1966 Sables d’or / Rimal min dhahab
1968 La Terre / El Ard
1970 Le Choix / Al Ikhtiyar
1974 Le Moineau / Al Asfour
1976 Le Retour de l’enfant prodigue / Awda al-ibn ad-dal
1977 Alexandrie, pourquoi ? / Iskandaryya lih ?
1982 La Mémoire / Hadduta misriyya
1984 Adieu Bonaparte
1986 Le Sixième Jour
1990 Alexandrie encore et toujours / Iskandariyya kaman wa kaman
1991 Le Caire raconté par Chahine / El-Kahira menawara bi ahlaha
1994 L’Émigré : Al Mohager
1995 Lumière et compagnie (collectif)
1996 Le Destin / Al Massir
1998 L’Autre / Al Akkhar
2000 Silence... on tourne
2002 September 11 (film collectif)
2003 Alexandrie... New York
2006 Chacun son cinéma (collectif)
Le Chaos / Heya Fawda



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