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fleche ... à propos de "L’enfant aveugle"
un film de Johan van der Keuken (1964, n&b, 22’)
mis en ligne le 27 mars 2008.
 

 
Projeté le vendredi 28 mars à 20h30 au Polygone étoilé (1 rue Massabo - 13002 Marseille), dans le cadre de la programmation proposée par Peuple & Culture Marseille.

Quelle perception un enfant aveugle a-t-il de la réalité ? Le cinéaste a passé deux mois dans un institut spécialisé aux Pays Bas pour répondre à cette question. L’enfant aveugle révèle un monde difficile à imaginer : la lutte continue de l’homme sans regard pour rester en contact avec la réalité.

La métaphore c’est vous

Dans un film, une métaphore crée une distance en obligeant le spectateur à substituer à une perception une intellection. Mais si la métaphore c’est vous. Moi, spectateur. Alors la métaphore pousse à l’empathie. La distance s’abolit à l’instant où elle s’établit. Tout en subsistant en creux : non comme signe mais comme forme. Comme forme du réel même.
C’est ce que Johan van der Keuken opère dans L’enfant aveugle. Les voix dans le noir par lesquelles débute le film, l’arrêt sur image sur lequel il se conclut sous les formes même d’une privation qui nous touche directement comme spectateurs de films autant qu’elles donnent l’image (d’abord une absence d’image puis une absence de mouvement) de la cécité. Tandis que les voix de plusieurs jeunes aveugles continuent à dialoguer, la métaphore du tunnel qui suit l’ouverture au noir, débouche non sur une distance mais sur une identification. Ne pas voir c’est comme circuler dans un tunnel ? Certes. Mais surtout : ces voix que j’entends, je ne peux voir à qui elles appartiennent. En me privant de leurs visages, le film me place métaphoriquement et plus que métaphoriquement dans la position de l’aveugle.
Puis, troisième mouvement de l’ouverture, les visages apparaissent et c’est une nouvelle métaphore abolie, une nouvelle forme. Les faces sont cerclées de noir (par une découpe ronde). Elles se dégagent du noir de la cécité. Sans paroles, cette fois. Tous les gens sens (sauf un) aux aguets. Vigie d’un corps (encore invisible) qui avance au coeur du sensible. Métonymie de toute une gestuelle que le film par la suite s’attache à nous découvrir. Mouvements des mains, des jambes, des pieds... Lire, écrire, « voir » en touchant, identifier, nommer, faire de la musique, écouter la radio, explorer la campagne, se risquer en ville (« toutes les villes se ressemblent, dit un enfant, on n’arrive pas à s’y repérer »).
Au fur et à mesure que les informations s’affichent, la mise en forme se fait de plus en plus stricte, musicale. Insistance des plans, rythmes, décadrages, répétitions, décalages sonores, mais aussi proximité presque obscène des personnes filmées, tout se fond. Jouant sans cesse entre vérité des notations et règlement du langage cinématographique, Keuken nous fait ressentir presque physiquement le handicap. La course de vitesse est emblématique de cette démarche. D’abord en temps réel, elle nous fait éprouver le danger que ces corps fendant l’air affrontent. Puis un ralenti nous pousse à clamer : confiance, volonté, victoire, sublime.
Le final est composé d’un parcours urbain (danger maximum) de plus en plus bruyant, chaotique. Tohu-bohu sonore traduit par un montage d’enseignes, d’inscriptions (invisibles pour l’aveugle mais hyper-signifiantes, agressives, pour nous) qui débouche enfin sur l’ataraxie d’un arrêt nimbé de quelques mesures d’orgue. Génial.


Jean-Paul Fargier. Extrait du catalogue réalisé par Documentaire sur Grand Ecran en novembre 2001.



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