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par Jean-Michel Frodon
mis en ligne le 15 juin 2008.
 

 
Editorial N°635 - Cahiers du Cinéma - Juin 2008.

Quelle drôle d’année pour le cinéma en France ! Elle n’en est qu’à la moitié, mais elle a déjà été marquée par deux événements de grande amplitude : après le raz-de-marée public des Ch’tis battant le record historique de fréquentation qu’on aurait cru irrémédiablement dévolu désormais à une production hollywoodienne, voici que surgit la première Palme d’or française depuis 21 ans. Entre les murs est un film juste et fort. Certainement pas une oeuvre d’art de première magnitude, mais une véritable réponse cinématographique à une série de questions importantes, dont certaines concernent le cinéma et d’autres non. En lui accordant la récompense suprême d’un palmarès par ailleurs complètement bancal, le jury présidé par Sean Penn a consacré un film qu’on aurait tort de croire francofrançais. Si le débat sur l’école (comme celui sur le cinéma - hasard ?) connaît dans ce pays une intensité et une récurrence remarquables, les grands enjeux du film, qu’il s’agisse de l’éducation ou de la construction d’un lien social entre jeunes gens issus de communautés différentes, concernent tous les pays occidentaux développés. Pas étonnant que des jurés de nationalités variées s’y soient retrouvés.
Entre les murs est aussi exemplaire de ce Festival où les jeux du documentaire et de la fiction auront tenu un rôle considérable, et selon des modalités en partie inédites : le recours à l’animation de Valse avec Bachir pour accomplir son enquête mémorielle, la manière de mêler acteurs professionnels et témoins réels de 24 Cities de Jia Zhang-ke et des Bureaux de Dieu de Claire Simon, ou Depardon filmant comme des stars du réel les paysans de La Vie moderne en ont été quelques-unes des plus passionnantes manifestations. Qu’un prof de français ait raconté son expérience dans un livre n’était pas remarquable, que ce livre (Verticales éditions), déjà intitulé Entre les murs, ait été un authentique travail littéraire et qui trouvait par l’écriture la manière de mieux voir et de mieux dire la réalité d’une classe l’était davantage. En s’emparant du livre, en proposant à son auteur et personnage central, François Bégaudeau - qui fut plusieurs années membre de la rédaction des Cahiers - de devenir coscénariste et interprète principal du film, Laurent Cantet initiait un cheminement allant davantage encore vers la fiction, tout en nourrissant celle-ci d’un corps, d’une gestuelle et de savoir-faire documentaires, ceux acquis par Bégaudeau dans l’exercice de son ancien métier. Le choix des jeunes interprètes et le travail avec eux relève de la même logique, tout à fait fictionnelle et entièrement entée sur leur réel.
Bienvenue chez les Ch’tis et Entre les murs ne se ressemblent pas. Ce sont pourtant l’un et l’autre des formes de sociologie appliquée par le cinéma, avec un double effet de description - de la réalité nationale - et de communion - des habitants de ce pays : il est plus que probable que le film de Cantet, après la Palme, les déchaînements médiatiques (et les tentatives de récupération politiciennes) qui s’en sont suivis, connaîtra un considérable succès public. Il y a de multiples bonnes raisons de s’en réjouir. Ces succès, il est tout aussi important de ne pas en faire des modèles contre d’autres types de films, d’autres idées du cinéma, d’autres modes de narration et de représentation.
Rappelons-nous : cette drôle d’année avait commencé sous le signe des inquiétudes qui justifiaient la mobilisation des praticiens de l’action culturelle, et qui avaient motivé la constitution du groupe de travail de Pascale Ferran. Les motifs de ces inquiétudes demeurent. Les succès commerciaux ou de reconnaissance artistique ne doivent pas les masquer mais, puisque décidément le cinéma ne cesse de se reconstruire de fortes places dans ce pays, servir à transformer ces réussites en points d’appui d’une idée plus ouverte et généreuse du cinéma.



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