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fleche ... La carotte et le baton de la grande distribution
Paru dans Marseille La Cité, novembre 05
mis en ligne le 26 octobre 2005.
 

 

Entrepreneurs et grandes surfaces.

-  Le commerce : une valse à plusieurs temps. Equitable ?

Producteurs, transporteurs, intermédiaires, distributeurs, consommateurs... Les circuits du commerce nous concerne tous, quelle que soit notre place, et notre rôle. Etant sans doute une des principales activités humaines sur terre, le commerce est souvent considéré comme le « nerf de la guerre ». Mais de quelle guerre s’agit-il ? Contre qui ? L’esprit du commerce peut-il être conquête et colonisation, sans dommages pour les sociétés et l’environnement ?
Est-il possible aujourd’hui, de pratiquer un commerce qui valorise l’échange, une circulation équitable des richesses et des revenus, et une vitalisation des liens ? Et si acheter devenait, au quotidien, voter pour un projet de société ?


-   « PENSE AVEC LE MONDE ? AGIS EN TON LIEU ». Édouard Glissant.

« Ok, je vais faire le plein ». Je prends la voiture, fais entre 1 et 20 kilomètres, dépense de l’essence, use parfois mes nerfs dans les embouteillages, et ouf pousse le chariot entre les rayons, « là où la vie est moins chère », « là où on défend le consommateur », « là où on fait des affaires ». De quoi ai-je besoin ?

Lorsque la grande distribution s’est installée au Mexique, elle a voulu s’emparer du marché du poulet grillé. Elle les a donc vendus moins chers et installés au fond tout au fond des super-hyper-marchés. En allant jusqu’au poulet grillé, les clients passeront devant des tas de choses, qu’ils finiront bien par acheter aussi... Le prix du poulet était bien sûr cassé, en comparaison du prix du poulet grillé du vendeur de coin de rue. Le consommateur est, paraît-il, content. Le problème, là bas, c’est qu’il n’y a pas de social, d’assedic, d’allocation, de rmi, de cmu... pour ceux qui ne peuvent plus vivre de leur petit commerce de coin de rue et productions de lopins de terre. En France, au moins, nous avons encore la « chance » d’avoir des systèmes de compensation...

Première question : Les prix sont-ils vraiment si cassés que ça ?
En 1995, certains députés ont voulu vérifier. La France des grandes surfaces a été parcourue : les produits d’appels (500 environ : lait, sucre, essence, pain...) attirent effectivement le porte monnaie, mais sur les 135000 autres prix relevés, certains produits sont plus chers qu’ailleurs. Vigilance donc, les slogans restent des slogans. Le magasin du coin est parfois plus économique.

Deuxième question, essentielle : Qui casse-t-on en disant casser les prix ?
En 2000, Christian Jacquiau, expert comptable et commissaire aux comptes, publia un livre « Les coulisses de la grande distribution » qui participa à la mise à jour et à la dénonciation des pratiques de la grande distribution et de leurs centrales d’achats.
Les super, hyper... marchés en France furent tout d’abord, dans les années 60, perçus par les agriculteurs et les entreprises comme une opportunité de développement, un gros client qui garantissait une source exponentielle de revenus. Cependant, lorsque ce « gros client » devient l’unique client, lorsque le fournisseur se trouve en situation de dépendance vis à vis des centrales d’achats de la grande distribution, celle-ci a alors le pouvoir de faire pression : baisse forcée des prix d’achat, paiement de sommes exorbitantes pour entrer dans la centrale d’achat (référencement), paiement du « mètre linéaire », des têtes de gondole, de la présentatrice du produit, de l’espace publicitaire obligatoire... et si vous refusez, nous trouverons un autre fournisseur qui, lui, acceptera.


Certains fournisseurs de la grande distribution auraient beaucoup d’histoires à raconter, s’ils pouvaient parler sans craindre de se faire « déréférencés ». Si un jour, vous ne trouvez plus l’un de vos produits préférés sur les rayons d’une grande surface, il est possible que l’entrepreneur ait été « puni » pour désobéissance à ce qui semble être une dictature économique.
En 2005, l’ensemble de ces transactions apparemment forcées, nommées « marges arrières », représente en moyenne 50% du prix d’un produit.

Dans une conférence, Christian Jacquiau donne un exemple : vous achetez en grande surface un kilo de pomme à 10F. Il est acheté à l’agriculteur 1F50 ou 2F. Comme ce prix d’achat est en dessous de prix de revient du kilo de pomme, la ferme n’est plus rentable, et l’agriculteur va, soit recevoir une subvention de l’Europe pour compenser le manque, soit un jour faire faillite, devenir dépressif, quitter sa terre... se mettre au RMI, CMU... Le paradoxe, ou l’inconscience, du contribuable qui achète ce kilo de pomme dans une grande surface, c’est qu’il va payer ses pommes une deuxième fois, à travers la part de ses impôts qui va subventionner l’agriculteur déficitaire. Aberration ? Oui, c’est pourtant la réalité.

Commercialiser, être distributeur d’un produit est forcément acheter / prendre une marge / revendre.
Entre les 10% de marge légale (en moyenne), et les 50% de marge arrière, la marge bénéficiaire du distributeur, sur le prix d’un produit que nous achètons en grande grande surface, est environ de 60%.
Pour plus d’informations sur ces pratiques, vous pouvez également écouter (fichier MP3) la conférence que Christian Jacquiau a fait à Aubagne en 2003 : téléchargement sur www.bibliotheque-sonore.org/consommation/


-  L’EFFET DINOSAURE A-T-IL UN AVENIR ?
A force de fusion entre les grands groupes, cinq centrales d’achats, gérées par la grande distribution, centralisent désormais 90% des produits de consommation courante.
En multipliant les hyper, super... marchés, mais aussi les superettes et le rachat de l’épicier arabe du coin (principal ennemi de la grande surface, il est ouvert jusqu’à 22h le bougre !!), ce réseau de distributeurs veut devenir Le guichet unique de nos consommations. Comme le note Christian Jacquiau, dans une interview sur www.econovateur.com, « La grande distribution, année après année, est en train de réussir là où le communisme a échoué : arriver à instaurer un système à guichet unique, où la concurrence sera morte : un large choix de marques appartenant à une poignée de distributeur, entretiendra l’illusion du choix ».

_ Les conséquences sont multiples. Cela va de la « malbouffe » (scandale des poulets, élevés en batterie, nourris avec des boues de station d’épuration !), à la restriction du choix des produits, aux délocalisations forcées d’entrepreneurs qui tentent de s’aligner sur les conditions et prix d’achat des centrales d’achats, à la disparition des petits commerces, des entrepreneurs locaux, des paysans, etc.

_ La pratique de la colonisation (envahir un territoire ou un champ d’activité, y instaurer ses lois, maintenir coûte que coûte son emprise, monopoliser les richesses...) distille, dans les sociétés dites « de consommation », des allures de paradis, de séductions, de facilités, de loisirs et de bonnes affaires... quand ce n’est pas de défense de notre pouvoir d’achat.
Avec l’alimentaire, la parapharmacie, la bijouterie, l’assurance, bientôt les voitures... la grande distribution proposera tout. Elle finira par devenir fournisseur / distributeur (les MDD : marques de distributeurs que chaque groupe développe. Produits permettant de générer une marge maximale). Et, dans cet idéal d’oligole marchand, il n’y aura plus de concurrents.


Cet effet dinosaure (grossir, grossir...) a sans doute ses limites.
1/ Les conséquences en chaîne de cette centralisation d’échanges marchands « inéquitables » sont désormais trop visibles pour rester occultées. Pour le « citoyen lambda », il y a, dans un premier temps, un effort de connaissances nécessaires pour comprendre les réalités de ce qui se joue, et les intérêts réels des différents acteurs (intérêts souvent réduits au pourcentage de bénéfice).
Comme nous sommes forcément consommateur de quelque chose, depuis quelques années s’est développée cette notion de consom’acteur, de celui qui redevient, à partir de cet acte de l’achat, acteur d’un choix de société. Certains ont pu même rapprocher l’acte d’acheter à l’acte de voter, de valider tel ou tel système.
2/ Il est toujours dangereux pour l’humanité de laisser s’instituer des situations de monopole et de non-choix. La mise en dictature des individus au sein d’une société est un lent processus, dont il vaut mieux comprendre les principes d’action et sentir les rouages - tant qu’il existe une marge de manœuvre, d’inventions, pour la pensée et, ici, pour la multiplication des circuits marchands.

L’éditorial du numéro de novembre de Silence rappelle le « Discours de la servitude volontaire » de La Boétie : « La paresse, la coutume, les habitudes endorment la raison et la vigilance. Le pouvoir du tyran existe parce que le peuple obéit à ses ordres, pour défaire un tyran il faut refuser de le servir. (...) Le peuple, sans utiliser la violence, peut faire tomber un pouvoir absolu en lui retirant son soutien. »

Il n’existe pas une seule solution, magique, qui améliorerait la qualité des échanges commerciaux et la revitalisation d’un tissu social par une distribution plus équitable des richesses et des ressources. Il ne s’agit pas forcément de boycotter les grandes surfaces, choix radical que font certains, mais en tous les cas d’être vigilants sur les pratiques, et les achats qui y sont faits. Ne pas être aveugle est déjà un premier pas. « Retirer son soutien » à certains systèmes marchands - au vu des conséquences sociales et environnementales de leurs activités - est un pouvoir quotidien.



-  COMMERCES EQUITABLES ET DEVELOPPEMENT LOCAL.
« Ok, je vais faire le vide. », disons le ménage dans mes habitudes automatisées. Je veux savoir ce que j’achète (qualité du produit, conditions de fabrication, conditions de travail...), et à travers ce que j’achète, qu’est ce que j’échange et qui j’enrichis.
Penser un commerce équitable, est un moyen d’interroger et de mettre en lumière différentes réalités dans les échanges marchands. Qui fait quoi dans les filières, du début à la fin. Il est aussi un enjeu marchand, financier, cherchant une juste redistribution des richesses échangées au long d’une filière, doublé d’un enjeu de connaissances, de rencontres et de transactions clarifiées. Producteurs, intermédiaires et consommateurs peuvent être impliqués dans des échanges plus conscients.

Le commerce équitable a d’abord pris une teinte Nord / Sud, « parfumé à l’ambiance humanitaire » où l’on soigne d’un côté ce que « le système » détruit de l’autre. Nous, consommateurs blancs aisés, nous achetons un café qui nous donne « bonne conscience ».
Il est parfois « récupéré » par la grande distribution, qui sait flairer l’air du temps et le désir du consommateur. Dans le milieu du commerce équitable, un conflit existe entre ceux qui veulent vendre en grande surface, et ceux qui se refusent à pactiser avec ce genre de distributeurs : les produits du commerce équitable y deviendraient des produits comme les autres, y perdrait leurs raison d’être, et se trouveraient, à terme, soumis aux même (ré)pressions que les autres fournisseurs (marges arrières, pressions sur les producteurs, etc).

Plus récemment, le commerce équitable s’est également traduit au niveau local, dans la relation Nord / Nord, ville / campagne... et notamment dans les mouvements paysans qui cherchaient là un moyen de reconstruire leur métier, de boycotter les centrales d’achats qui soit les paupérisent, soit les obligent à l’agriculture intensive (polluante, et de mauvaise qualité). Il s’agissait aussi de prendre conscience « ensemble » qu’il est possible de faire des choix dans les échanges économiques. Ces circuits permettent à la fois de sortir des gros monopoles et de redynamiser les économies locales. (voir les Amap, paysans.fr dans les numéros précédents de Marseille La Cité).

Avec la crise du pétrole qui émerge, la question des transports risque de devenir de plus en plus difficile à gérer. Les relations marchandes de proximité, et le rapprochement entre producteurs / consommateurs participe certainement, au delà d’un militantisme écologique ou idéologique, d’une lucidité visionnaire.



-  IMPRESSIONS DU PREMIER SALON INTERNATIONAL DU COMMERCE EQUITABLE
Le premier salon international du commerce équitable a été organisé, à l’initiative de Minga (voir encadré) à l’Ile St Denis du 1 au 4 octobre 2005. Quelques impressions :
1/ L’arrivée. Des navettes de bus de ville font gratuitement les allers-retours entre bouche de métro à Paris et lieu du salon. L’on sent donc une volonté politique derrière l’organisation de ce salon. Au delà des grandes phrases emphatiques (« créer un autre monde » plus juste, plus humain, etc...), l’engagement des collectivités locales semble opérant dans la mesure où elles peuvent appuyer des pratiques de commerce équitable dans un territoire, en leur donnant une visibilité, et en s’y engageant également comme clients. Marseille ?

2/ En se promenant parmi les multiples exposants, et les continents présents, les récits de « qui fait quoi pourquoi comment » affluent. La personnalisation des acteurs, les noms, les photos, les répercussions de l’activité économique dans la vie quotidienne... abondent.
En achetant un produit ou un objet, l’on s’enrichit de son histoire, de son parcours, de connaissances associées à sa fabrication, aux personnes qui l’ont fabriqué, etc. Exactement l’inverse de ce que la « société de consommation » a développé (quantité de produits vendus, dépersonnalisation de ceux qui travaillent et fabriquent, mise en avant des marques et des images). Une forte repersonnalisation des échanges économiques est donc en jeu à travers l’identification du "qui fait quoi pourquoi comment".

3/ Un des problèmes majeurs de la majorité des produits présentés reste leurs prix. La qualité se paie, l’épaisseur signifiante, « l’utilité collective » a un coût. Il est possibile d’y acheter quelques cadeaux, et de faire quelques bons repas. Mais comment intégrer la qualité de ces pratiques dans le quotidien de personnes qui n’ont pas les moyens d’investir ? Car acheter « équitable » semble être bien plus qu’un simple achat : il s’agit d’un investissement personnel dans un projet de société où l’Autre, et le devenir du collectif sont intégrés dans la démarche (et souvent dans le prix).

4/ Le commerce équitable n’est pas un absolu. Derrière, il y a des personnes. Certaines sont dévouées à une cause, à un combat, d’autres semblent surtout soucieuses de stratégies économiques et de développement, il y a des poètes, des aventuriers, des moralisateurs, etc... Si le commerce équitable a une utilité sociale, c’est bien en terme de réflexion, d’observation des pratiques, de personnalisation des acteurs (et donc de soi-même), et de connaissances partagées. Certaines choses m’ont paru compliqué, comme de la sauge du Maroc empaquetée dans un beau papier recyclé. Je me suis demandé pourquoi faire venir d’aussi loin (transport) une plante qui pousse en France. Elle avait peut-être des vertus particulières qui m’ont échappé.



-  UN COMMERCE EQUITABLE AU QUOTIDIEN
Globalement, il semble qu’aborder un commerce équitable revient à savoir à qui l’on achète, comment et par qui sont fabriqués les produits, et comment sont partagés les bénéfices. Ce n’est donc pas un secteur marchand à part, un univers exotique, ou un luxe, mais une manière d’aborder les échanges quotidiens avec un regard vigilant. Acheter simplement ses légumes sur le marché à un paysan peut être très équitable. Aller voir un artisan ou un commerçant du coin, observer les activités et les compétences des uns et des autres, investir en des personnes et des projets... est sans doute pratique d’une forme d’équité, de justice, et finalement, de cohérence.

SD
(Article paru dans Marseille La Cité N°08, de novembre 05).



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