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fleche ... L’huile de friture, essence du futur ?
Article paru dans Le Monde du 11.02.06
mis en ligne le 27 février 2006.
 

 

À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX CARBURANTS

De plus en plus d’Américains « font le plein » de graisse usagée aux arrière-cuisines des fast-foods, pour fabriquer ensuite du biodiesel, peu polluant et bon marché.
C’est jaune, plutôt visqueux, et personne ne s’accorde sur l’odeur. « Certains trouvent que ça sent les frites. D’autres, le pop-corn », dit Peter Bell, qui en fabrique à Austin (Texas). « L’assaisonnement à salade », corrige Dan Goodman, qui en possède un flacon sur son bureau, à l’université du Maryland. Le liquide en question, du biodiesel, est un biocarburant d’origine végétale, un de ces nouveaux carburants sur lesquels les Etats-Unis comptent pour réduire un jour leur dépendance énergétique à l’égard du Proche-Orient. Inexistant il y a dix ans, il a fait son entrée dans les statistiques du ministère de l’énergie. Dénomination : « graisse jaune ». Huile de cuisine. On la met dans le moteur.

Le phénomène a pris de l’ampleur en quelques années. Dans toute l’Amérique, des individus ont entrepris de collecter de la graisse à frites auprès des restaurants et des fast-foods pour la transformer en biocarburant. Pour le quotidien Star Tribune de Minneapolis, ces nouveaux brocanteurs composent une « sous-culture en expansion ». Ils arrivent à faire 1 000 kilomètres avec un moteur qui ne pollue pratiquement pas. Et un plein de graisse qui ne leur a rien coûté.


Le gisement de matière première n’est pas négligeable : 300 millions de gallons d’huiles usées sont produits chaque année dans les cuisines américaines, soit plus de 1 milliard de litres (1 gallon vaut 3,79 litres). « Il y a un phénomène de mode, explique Josh Tickell, un des pionniers de la discipline. Les gens ont envie de faire du biodiesel. Et l’huile de cuisine est une méthode accessible à tout le monde. »

Il suffit de mélanger l’huile usée à de l’alcool (méthanol). Grâce à un kit de conversion, vendu sur Internet, on peut s’assurer que le carburant n’épaissit pas s’il fait froid. Il y a quand même un handicap : il faut posséder un véhicule diesel, et à ce titre seulement 5 % du parc automobile américain est concerné.


Josh Tickell est l’auteur du livre From The Frayer to The Fuel Tank (De la friteuse au réservoir). Il a sillonné le pays pendant deux ans avec un veggie van, un minibus peint de fleurs de tournesol et nourri exclusivement de l’huile des restaurants croisés sur le trajet. Le 6 février, il a sorti son deuxième livre, Biodiesel America, en même temps que s’ouvrait la Conférence nationale du biodiesel à San Diego, avec 2 000 participants, soit deux fois plus qu’en 2005. « Les gens s’éveillent à la réalité. On ne pourra plus importer très longtemps d’Arabie saoudite, dit-il. Comme les Français ont pu s’en apercevoir, les Etats-Unis prennent parfois des décisions dangereuses, à cause de leurs besoins en pétrole. »


L’administration Bush a donné un sérieux coup de pouce au biodiesel dans son plan Energie de 2004 par un système de crédit d’impôts : de 50 cents à 1 dollar pour chaque gallon de biodiesel mélangé au diesel classique (ou pétrodiesel). Cet avantage fiscal a permis de tripler la production : 14 millions de gallons en 2003, 30 millions en 2004 et près de 75 millions en 2005. Actuellement, l’essentiel du biodiesel est fait à partir de soja, devant l’huile de cuisine. Mais on reste loin du compte. Même si on exploitait tout le gisement de graisse à frites, dit Josh Tickell, « on ne pourrait couvrir que 5 % des besoins en diesel ».

Cela dit, avec la hausse du prix des carburants, le biodiesel est devenu compétitif. Il a conquis l’US Postal Service, l’armée, la marine - qui a décidé que tous les véhicules non combattants utiliseraient le biodiesel -, et les bus jaunes d’une centaine de districts scolaires. Six cents pompes à biodiesel existent déjà dans le pays. S’il y a actuellement moins de 20 producteurs (pour 84 d’éthanol), 12 nouvelles installations sont en construction.

En 2004, Willie Nelson, une légende de la musique country, s’est lancé sur le marché. Il a créé sa marque de carburant, le « Bio-Willie ». Le guitariste, qui partage son temps entre Austin et Hawaï, a acheté une Mercedes diesel, et l’odeur de frites, « ou de doughnuts », comme dit son manager, le suit dans ses tournées. Le « Bio-Willie » est un mélange de 80 % de pétrodiesel et de 20 % de biodiesel fabriqué à partir d’huile de soja. En août 2005, il a été mis sur le marché dans la station essence fétiche des routiers du Texas, le Carl’s Corner, au sud de Dallas, où Willie Nelson avait l’habitude de chanter. Aujourd’hui, elle sert de 30 à 40 camions par jour.

Avec un pétrole à près de 70 dollars le baril, le prix est le même que le diesel ordinaire, souligne Peter Bell, le responsable de la distribution. « Nous enregistrons une croissance de 35 % par mois », affirme-t-il. Selon lui, les consommateurs achètent du « bio » pour diverses raisons : « Certains veulent soutenir les fermiers américains ; d’autres ne veulent plus entendre parler de l’Arabie saoudite. »

Le biodiesel n’intéresse pas que les rêveurs et les écologistes. Dan Goodman, un spécialiste en création d’entreprise, à l’université du Maryland, est en train de monter sa propre « raffinerie » de biodiesel.

Au départ, il était surtout préoccupé par le rôle des bus scolaires, très polluants, dans le développement de l’asthme chez les enfants. Il s’est mis à collecter des huiles usées et fournit maintenant les cinq bus de son école de quartier.

Une fois par semaine, il envoie Matt Geiger, un passionné de mécanique, faire la tournée de collecte des huiles dans les restaurants de College Park, dans le Maryland. Armé d’une petite remorque, sur laquelle il a monté une pompe, Matt se gare derrière les cuisines et, sans même un temps d’hésitation, attaque le réservoir à graisse. Le liquide est jaunâtre, épais. De temps en temps, il y surnage encore un morceau de carcasse. Le mécanicien pompe un tonneau de 55 gallons en trente secondes.

Dans sa tournée, il ne manque pas la cafétéria de l’université - trois fast-foods d’un coup ! -, puis il passe par Sakura, le restaurant japonais, et California Tortilla. En général, il recueille 300 gallons par semaine. Avant, les restaurants devaient payer pour faire enlever leurs graisses usées. Ils ne sont pas mécontents de s’en débarrasser.

Matt Geiger se décrit comme un « pétrolier d’un genre un peu différent ». Il a toujours été intéressé par Rudolf Diesel, l’inventeur allemand qui a mis de l’huile d’arachide dans son moteur. Il croit à une nouvelle révolution énergétique : « En 1859, l’industrie d’huile de baleine a été laissée sur place quand on a trouvé du pétrole en Pennsylvanie. C’est exactement ce qui va se produire. Le pétrole va être totalement dépassé. »

Corine Lesnes



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